LA CROIX 30 OCTOBRE 2002

Par Philippe ROYER

 

Isabelle Adjani, magnifique amoureuse.


ADAPTATION.

Benoît Jacquot a su tirer toute la substance d'« Adolphe », le roman de Benjamin Constant.

Isabelle Adjani défend avec brio le personnage d'Ellénore.

ADOLPHE de Benoît Jacquot

«Adolphe est l'histoire d'un homme qui s'efforce de briser les chaînes d'une liaison amoureuse où il s'est, comme malgré lui, fourvoyé. C'est, pour être plus précis encore, l'histoire d'un homme qui peut d'autant moins briser ses chaînes qu'elles ressemblent étrangement à ses propres résistances intérieures. » Ainsi, Daniel Leuwers résume-t-il le roman de Benjamin Constant dans la préface de son édition chez Flammarion. L'oeuvre, intimiste par essence, est aujourd'hui sur les écrans. Un véritable pari de cinéma, car personne n'avait encore eu l'idée saugrenue d'adapter ce roman largement autobiographique de Constant, paru en 1816, roman avare en description des personnages, où les lieux sont évoqués en un mot, et surtout sans action. Si ce n'est les tergiversations d'Adolphe, incapable de quitter Ellénore qu'il n'aime pourtant pas, alors que l'Empire lui offre une carrière sur un plateau ; laquelle Ellénore se consume d'un amour passionnel et sans condition - au point d'en abandonner ses enfants - pour ce jeune homme de dix ans son benjamin, indécis, presque inexistant.

Un film commandé à Benoît Jacquot par l'actrice elle-même

C'est au cinéaste Benoît Jacquot que la tâche a échu. Echu, car le film lui a été commandé par Isabelle Adjani, bien avant le tournage de La Repentie, de Laetitia Masson, sorti l'an dernier. Grâce à cette histoire contemporaine, l'actrice avait espéré retrouver les faveurs du grand public. En vain, tant le film était mal ficelé et Isabelle Adjani d'une agitation caricaturale. Le personnage d'Ellénore lui sied mille fois mieux. Il est dans le droit fil de ces femmes dévorées par un absolu romantique, aimant à en mourir, dans lesquelles Isabelle Adjani s'est toujours investie sans mesure. « C'est sa raison d'être d'actrice, d'exprimer ce pathos, insiste Benoît Jacquot. Dans ce registre-là, elle est unique. Pour le meilleur et pour le pire. Car d'une certaine façon, Isabelle Adjani vit ça dangereusement, suscitant des réactions violentes, d'adoration ou de rejet. »

Sa proposition a rencontré l'assentiment immédiat du cinéaste, pour qui Adolphe était son « lieudit » littéraire depuis l'adolescence. « Soudainement, quelque chose allait de soi. Ellénore qui n'avait jusqu'alors pas de visage, de corps, de voix, en a eu. » A l'inverse, Benoît Jacquot a de quoi attirer une actrice en quête d'un réalisateur délicat, capable de ressentir ses attentes : des débuts marqués par des documentaires sur la psychanalyse, une première série de fictions fortement analytiques (L'Assassin musicien, Les Enfants du placard), puis une autre, composant une galerie de portraits de femmes aux prises avec leurs doutes, leurs ambitions et leurs folies (La Désenchantée, La Fille seule, Le Septième Ciel...), jouée par des actrices (Judith Godrèche, Sandrine Kiberlain, Isabelle Huppert) dont le cinéaste a su fouiller les retranchements. L'an dernier, Tosca, brillante transposition de l'opéra de Puccini, a achevé de lui donner une stature, légitimant, si besoin était encore, sa talentueuse inventivité poussée par un vrai goût du risque.

« Mes approches de la fiction ont fait naître chez beaucoup d'acteurs et d'actrices l'idée que j'en sais long, s'amuse le cinéaste. La psychanalyse commence aussi de la même façon : « Quelqu'un est supposé savoir, disait Lacan. En fait, chez un personnage, je m'intéresse beaucoup plus à ce qui se tait qu'à ce qui se dit. Et je ne m'intéresse à ce qui se dit que pour autant que ça tait quelque chose. » Ainsi qu'il l'avait fait pour les oeuvres de Louis-René Des Forêts (Les Mendiants) et de Mishima (L'Ecole de la chair), Benoît Jacquot n'a pas recherché la littéralité d'Adolphe. Le cinéaste a plutôt travaillé la matière du roman. Il a renversé sa non-action, et su jouer du malentendu entre les deux personnages - chacun vit dans sa propre temporalité -, au gré de dialogues simples. Comme il a su mettre en scène leur fuite en avant, tant dans les sentiments que dans l'Europe d'alors, ainsi que le ballet de leurs échanges épistolaires.

« On peut dire que ce roman est un marivaudage tragique où la difficulté n'est point, comme chez Marivaux, de faire une déclaration d'amour mais une déclaration de haine. Dès qu'on y parvient, l'histoire est terminée », écrivait Stendhal en 1824. En la matière, Benoît Jacquot et Isabelle Adjani se sont bien trouvés.

La mort lui va si bien

Isabelle Adjani possède un talent très singulier. Celui de passer de vie à trépas avec une conviction que n'a aucune autre actrice. L'an dernier, Marguerite Gauthier, elle s'effondrait ainsi chaque soir sur la scène du Théâtre Marigny, vaincue par des souffrances de l'âme et du corps dont on pouvait presque sentir les ondes. Ici, elle se consume dans le château polonais où elle a entraîné Adolphe (Stanislas Merhar), avec une telle force et un tel désespoir qu'elle en inverse le cours des sentiments, laissant le jeune homme face à un immense vide.

 
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