La critique de Pascal Mérigeau De l'importance de n'être pas Constant «Adolphe de Benjamin Constant» film français de Benoît Jacquot (1h42)
C'est ainsi, déjà, qu'«Adolphe» est bien un film de Benoît Jacquot, qui sans doute a approché le projet comme il avait imaginé le dispositif mis en œuvre pour «Tosca». Comment filmer «Tosca» sans faire un film d'opéra, comment filmer Isabelle Adjani, première raison d'être du film, dans une histoire dont son personnage est l'objet plus que le sujet, fantasmé quand regardé comme impossible à conquérir, déshabillé de son humanité quand rejoint, puis dépassé par celle-ci? Ellenore vue par Adolphe, Adjani captée par la caméra. Le film passe ensuite d'Adolphe observant Ellenore, vue alors à travers son regard à lui, à Ellenore telle que fixée par la caméra, quand Adolphe cesse de la regarder. Dans ces moments-là, en effet, personne ne verrait Ellenore si le cinéma n'était pas là pour elle. Pour restituer Ellenore / Adjani, Stanislas Merhar / Adolphe tels qu'en eux-mêmes le cinéma les saisit, Jacquot a convoqué quelques-uns de ses souvenirs de cinéphile, dont il importe peu qu'ils soient aussi présents à l'esprit du spectateur qu'ils le sont au sien: le film tisse sa toile à partir d'éléments visuels empruntés au cinéma romanesque hollywoodien pour donner de la star Adjani comme une succession d'images kaléidoscopiques dont le précipité dessine les contours et le visage d'Ellenore. Le trouble naît de ce que le résultat semble à la fois familier et singulier, comme seul peut l'être le spectacle de la passion mise à nu, dans ses excès, dans sa cruauté surtout. Aussi bien le film fascine-t-il de plus en plus à mesure qu'il progresse, jusqu'à ce plan saisissant de l'amant marchant dans la neige derrière le cercueil de celle qu'il n'a pas su aimer, avant qu'une dernière image, celle d'Ellenore, celle d'Adjani en fait, n'apporte une ultime réponse. L'actrice en sort grandie, restituée à elle-même, et les enseignements qu'elle devrait tirer de l'expérience, et par contraste de certaines autres qui lui furent infiniment moins favorables, la conduiront peut-être à prendre vis-à-vis d'elle-même, de sa propre image surtout, un recul qui ne peut lui être que salutaire. Quant à Stanislas Merhar, il confirme le bien que l'on pense de lui, jusque dans cet effacement dont on ne sait pas toujours s'il est celui de l'acteur ou celui du personnage. Alors, oui, le film séduit d'abord par son intelligence, avant d'émouvoir, comme sans le vouloir, comme sans y croire. D'autant plus fort, donc. Et si l'on avait bien raison, parfois, de porter les grands romans à l'écran…
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