MARIE CLAIRE

N. 502 - JUIN 1994

Extraits de l'interview accordée à Michèle MANCEAUX à l'occasion de la sortie de La Reine Margot

(english version)

©Patrick Demarchelier
Sipa Press

 

Michèle MANCEAUX : On sentait jusqu'à présent que le monde vous affolait. Il semble que vous ayez acquis une compréhension que vous n'aviez pas auparavant.

Isabelle ADJANI : C'est vrai. La vie m'a amenée à faire un travail sur moi-même ces deux dernières années. Un travail profond, interne...

Un travail que vous avez fait seule ou avec des aides ?

Il y a eu déjà le travail karmique. C'est à dire ce que la vie a transformé en moi, cette initiation que vous apportent forcément les épreuves. C'est un chemin qu'on fait seul, mais toujours accompagné. Avec des aides visibles et des guides plus invisibles.

Des livres ? Des thérapeutes ?

Oui mais "thérapeutes" ne signifie pas seulement "psychothérapeutes". Il y a aussi des êtres qui s'occupent davantage de l'âme. Je me suis dirigée vers ceux-là. Je crois aux anges, alors c'est simple. Je pense qu'on porte tous le divin en nous.

C'est un travail de le trouver, ce divin ?

Changer, c'est la chose la plus difficile à accomplir. Il y a des gens qui ne connaissent jamais ça, qui restent fermés jusqu'à la mort, par peur du changement. Si je n'étais pas passÈe par une épreuve -par la passion, on peut le dire- par ces années si douloureuses et si riches, je ne crois pas que je pourrais aborder ma vie et ma carrière comme je le fais aujourd'hui.

Vous diriez aujourd'hui que la passion est néfaste ?

Est-ce que passion rime avec paix...? Avant, pour moi, la paix pouvait être synonyme d'ennui. On croit que quand il ne se passe rien, on disparaît. Ce n'est pas vrai.

Maintenant vous savez remplir le "rien" ?

En tous cas j'essaie. Le rien n'étant pas rien, le rien étant le vide. On peut faire le vide et être comblée. C'est une forme de méditation. Un joli exercice à faire, parce que je suis à l'origine fougeuse et réactive. Cet exercice me calme et m'amène à plus d'écoute, plus de disponibilité. Peut-être, à la fois, plus de profondeur et de légèreté.

Votre malaise venait-il de votre réussite ? D'une réussite particulièrement difficile à accepter par rapport à une famille modeste ?

On n'est jamais prêt pour la réussite. Elle vous consacre et vous perd en même temps . Partir à la recherche de soi, de ses besoins réels, c'est plus facile quand on n'a à se justifier auprès de personne, quand il n'y a pas trop de gens qui projettent sur vous leurs attentes. J'étais très jeune.

Vous avez manqué de liberté ?

Enormément. Je commence seulement à prendre et à apprendre cette liberté. Je veux travailler hors des agressions extérieures, oublier qu'on a quelque chose à faire pour les autres si ce n'est pas pour soi. Je ne veux pas travailler pour correspondre à une image.

Vous avez encore des peurs vagues ?

De moins en moins. C'est à quoi sert d'apprendre à s'aimer, à se suffire à soi-même.

Il suffirait de s'aimer soi-même pour ne plus souffrir de la passion ?

La passion est tout sauf douce, elle n'est pas tendre, c'est une violence à laquelle on devient "accro" par plaisir.

C'est une souffrance qui en vaut la peine ?

Cela dépend de l'individu qui en est l'objet. En amour, on devrait simplifier, choisir des personnes dignes de leurs promesses et les quitter si elles ne les tiennent pas. Mais personne ne se libère d'un sentiment amoureux en trois jours.

Vous regrettez les passions que vous avez eues ?

Non, ça non.

Vous êtes prête à recommencer ?

La passion surprend. On ne la cherche pas. Cela peut vous arriver demain...Je crois que lorsqu'on fait un travail sur soi-même, on est attiré par des êtres différents, plus positifs. Des êtres qui peuvent vous apporter davantage ce dont vous avez besoin.

Vous avez quitté votre travail, pendant trois ans, pour une passion. Le referiez-vous ?

Je ne crois pas.

En même temps vous pensez que cela en valait la peine ?

Oui, parce que cela m'a aussi permis d'avancer, d'apprendre l'anglais. C'est anecdotique, c'est une pirouette, mais bon, cela m'a donné envie de savoir mieux où j'en étais, de vouloir en savoir plus sur moi...On ne peut pas aimer sans s'ouvrir, et s'ouvrir, c'est prendre le risque de souffrir. On n'en a pas le contrôle.

Pour vous, la passion est forcément physique ?

Si ce n'est pas physique, je ne la connais pas.

Est-ce que cela peut être uniquement physique ?

Je crois que c'est possible. Cette passion-là coupe tout le reste, elle empêche tout, c'est ce que les psys appellent malsain. Ce que l'on appelle aliénation totale.

Vous faîtes quand même la grimace en disant ça.

Parce que dans les moments où on est tranquille, rassuré, on n'a plus envie de ça.

En même temps vous savez que cela vous reviendra.

Mes limites seront plus marquées. A la fois les limites que je donnerai, et mes propres limites. On protège son être quand on s'aime mieux. C'est le secret. Evidemment, si on ne vous a pas répété toute votre enfance "Aime-toi, Aime-toi", ce n'est pas quand vous êtes actrice que vous pouvez y croire.

Avez-vous peur d'être un jour moins belle ?

Ca va, cela ne m'est pas encore arrivé. Je n'ai pas peur d'être moins belle, j'ai toujours eu peur de ne pas être belle.

Acceptez-vous que viennent les marques de l'âge ?

Je l'accepterai très bien le jour où je ne ferai plus ce métier.

Quelle serait la raison pour laquelle vous cesseriez de faire ce métier ?

Je n'y pense pas pour l'instant, mais les rôles qui m'intéressent sont ceux de personnages jeunes.

Dans la période révolue, qu'est-ce qui vous a le plus blessée ? Les ragots ? Les attaques ? Les trahisons ?

Il n'y a pas eu que ça. Il y a eu aussi beaucoup d'amour, de joie, de témoignages d'admiration, je n'ai jamais eu l'un sans l'autre. Il ne faut croire totalement ni à l'un ni à l'autre.

Vous vous sentez solitaire en ce moment ?

Solitaire, mais pas seule. Je suis sans un êtat agréable, c'est à dire occupée, enthousiasmée, curieuse. Je vis toutes antennes dehors.

Cela se voit, vous pétillez. Vous ne craignez plus de parler de vous.

J'ai trop souffert de cacher mes sentiments. J'ai appris que s'exposer, se révéler est une preuve de son humanité. Il faut prendre le risque de se mettre à découvert pour devenir plus vrai, plus humain. Et même si ça coûte cher.

Que savez-vous aujourd'hui que vous ne saviez pas hier ?

Je sais que la seule question, c'est : "Qu'est-ce que je veux faire de moi, de ma vie ? Qui je veux être ?". Ca a l'air d'une question égoïste, c'est tout le contraire, c'est une question généreuse, tournée vers l'extérieur. Aujourd'hui je fais confiance à mon instinct, je me fais confiance. Enfin.

Quand vous avez débuté à l'âge de seize ans, que vous étiez si merveilleuse en jouant Molière, vous faisiez confiance à votre instinct ?

Oui, cela venait de l'enfance. Quelle beauté dans l'enfance, quelle pureté, quelle confiance, quelle ouverture avant que l'on se fasse meurtrir, que la cruauté referme tout. Et que l'on passe le reste de sa vie à réparer ce qui a été cassé.

 
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