PREMIERE (France)

Mai/Juin 1996

Extraits de l'interview accordée par Isabelle ADJANI à Cecilia PECK

Photos : Diabolique

(english version)

 

Cecilia PECK : Comment est arrivé Diabolique ?

Isabelle ADJANI : De façon très conventionnelle : par CAA, notre agent commun. Jeremiah savait que j'attendais un bébé; il a néanmoins tenu à me faire parvenir son scénario. Après l'avoir lu, je me suis dit qu'il y avait matière à faire un film de genre très hitchcockien. Hitchcock revu par Truffaut, quelque chose comme ça...

Tu n'avais pas tourné aux Etats-Unis depuis Ishtar. Pourquoi ce script plutôt qu'un autre ?

J'étais attachée à d'autres choses, j'habitais Paris...Je redoutais de me couper de la vie que j'essayais de m'organiser là-bas. J'étais donc moins attentive à ce qu'on pouvait me proposer d'intéressant ici.

L'échec d'Ishtar avait-il émoussé ton envie de travailler aux Etats-Unis ?

Non. Pour moi, Ishtar n'était pas une étape importante dans ma carrière, mais un film comme un autre. Ce n'était pas pour moi une stratégie pour pouvoir travailler ici. La chose marrante à propos de ce film, c'est qu'il est devenu culte depuis que Quentin Tarentino raconte partout que c'est un de ses films préférés et qu'il oblige tout le monde à le voir !

Comment s'est passé le travail avec Chechnick ? Il paraît qu'il t'a demandé de "ne rien faire"...

Oui, c'est à dire qu'il m'a dit : "Ne fais rien, ne sois rien." J'ai pensé que c'était une approche pour le moins différente de mes précédentes expériences ! J'ai aimé qu'il ait assez confiance en lui pour dire ça. Qu'il s'intéresse plus à ce qu'il ferait de moi qu'à ce que je pourrais lui apporter d'autre que ce que je suis. Deux mois après la naissance de Gabriel-Kane, je savais que je serais davantage concentrée sur ma vie que sur un film. C'est pour ça que je pensais que c'était un peu prématuré de retravailler...Mais Jeremiah m'a répondu que je n'avais pas besoin de préparation. Je me suis laissé convaincre de tenter l'expérience. C'était assez agréable, cette approche minimaliste - c'était la première fois. Juste être là...Sincère et disponible...

Cette approche aurait-elle été envisageable pour les précédents rôles ?

Je crois qu'il faut beaucoup d'innocence, voire d'inconscience, pour se permettre cette liberté...Peut-être l'expérience amène-t-elle une tranquillité intérieure, une disponibilité nouvelle et une innocence recréée. La vie permet, parfois, de s'abandonner. Et il arrive que l'on ait de bonnes surprises.

Tes relations personnelles avec Sharon ont-elles influencé ton jeu ?

Sharon est très "Method actress". Elle faisait tout son possible pour rester dans son personnage. Le mien était aparemment passif, le sien très volontaire...Elle était donc comme ça avec moi aussi, mais ça ne m'a pas dérangée. Elle prenait les décisions, je la laissais faire.

Que le personnage de Sharon dans le film soit détestable t'a-t-il aidée ?

Probablement. Cela a sûrement contribué à la justesse de mon interprétation. Sur un tournage, Sharon aime s'occuper de tout. Le costumier, par exemple, choisi par la production, est parti juste avant le premier jour de tournage parce que Sharon voulait superviser les costumes. J'ai laissé faire...je trouvais ça finalement assez amusant et efficace. Sur un tournage, Sharon a besoin que tout soit sous son contrôle.

Maintenant que tu vis à Los Angeles, penses-tu tourner davantage de films américains ?

Oui, j'adorerais. Même si il est tourné à Paris, mon prochain film est une production américaine, réalisé par une équipe américaine. (NB : Il s'agit de The Double, réalisation initiale de Roman Polanski, projet dont Isabelle s'est aujourd'hui retirée)

Quelles sont les différences entre une production française et une production américaine ?

Pour moi, ça ne fait pas de différence, car dans les deux cas je reste moi-même. Mais les budgets américains étant plus importants, tout est en proportion et beaucoup plus hiérarchisé, avec un star-system qui, fondamentalement, n'existe qu'ici, et qui entraîne des contraintes et une discipline inconnues sur les tournages européens. En Europe, il y a, même pour une star, des limites à ne pas dépasser, au risque d'être rejetée par l'équipe. Ici, l'équipe est vraiment un prolétariat asservi au star-system, un système qui fonctionne comme une véritable dictature et que personne, d'ailleurs, ne semble contester. Personne ne dit non, personne ne dit stop. C'est très curieux.

Te sens-tu encore une étrangère à Hollywood ?

En fait non. C'est quelque chose que j'ai ressenti au début, mais plus maintenant. Peut-être ai-je aussi une perception différente de moi-même. Je me sens plus décontractée dans tous les sens du terme, plus à l'aise dans une industrie dont je fais, maintenant partie et dont je maîtrise mieux la langue. L'intégration, cela ne vient pas seulement des autres. Je ne me considère pas comme une Française, ou une Européenne, mais comme une actrice.

En France tu es une star. Ici on te connaît, mais les gens n'ont pas vu la plupart de tes films...

Cet anonymat est très libérateur. J'adore ça car je peux faire ce que je veux. Ici, pour une actrice, la reconnaissance de la profession se fait sur un film ou deux. Qui marchent, de préférence...

Tu as joué beaucoup de rôles psychologiquement complexes. Es-tu toujours attirée par ce type de personnage ?

Il se trouve que j'aime les destins de femmes, et il y a toujours une tragédie dans la vie d'une femme. Il y a toujours un chemin dramatique pour épanouir sa féminité. Tant qu'à faire ce métier, autant exprimer ce qui me touche. C'est vrai que j'ai plutôt un tempérament d'insoumise. C'est une attirance naturelle, mais non exclusive.

Pourrais-tu tout abandonner pour des raisons personnelles ?

Il existe des priorités qui ne se discutent même pas. Ca n'est même pas un déchirement. C'est ce qui fait la fierté de mon engagement. Je suis entièrement dans un film, ou dans une relation, ou en vacances avec mon enfant. Jamais de mélange. C'est comme ça que ça doit être. Ca n'est pas toujours la meilleure décision pour une carrière mais ce n'est pas grave. On en parlait hier avec Travolta : on trouvait bizarre qu'en France on enchaîne rarement les films, alors qu'ici c'est quasiment impossible de faire autrement quand on a le vent en poupe, tant l'industrie vous dévore.

 
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