RENE DE CECCATY

© Mariane Rosenstiehl/H&K

Après avoir été professeur de Lettres, René de Ceccaty devient conseiller littéraire aux éditions Denoël, puis chez Gallimard. Depuis 88, il collabore régulièrement au "Monde des livres" et tient une chronique littéraire dans le quotidien romain "Il Messagero". Il dirige la collection "Haute Enfance" chez Gallimard. Il traduit beaucoup d'auteurs italiens, tels Pasolini, Moravia, Savinio, Palandri ("Le chemin du retour)", et des auteurs japonais comme Yokomizo.

Il travaille également pour le théâtre avec le metteur en scène argentin Alfredo Arias, avec lequel il a écrit "Mortadela" qui fut, en 93, Molière du Meilleur spectacle musical. Cette collaboration se poursuit avec "Faust Argentin" et "Peines de coeur d'une chatte française", puis aujourd'hui "La dame aux camélias".

Romancier, il a écrit notamment "l'Or et la poussière", prix Valérie Larbaud en 86, "Violette Leduc, éloge de la bâtarde" en 94, "Aimer" en 96, "Consolation provisoire" en 98, "L'éloignement" en 2000, ainsi que "L'Extrémité du monde", "Babel des mers", "Esther", "L'étoile rubis", "La sentinelle du rêve", "Nuit en pays étranger", "L'accompagnement", "Laure et Justine".

René de Ceccaty est aussi l'auteur de plusieurs essais, dont "Personnes et personnages", "Jardins et rues des capitales", "De l'amitié", "Sur Pier Paolo Pasolini".

Dans le cadre d'une critique de "L'éloignement", le Monde des Livres* dit de lui : "René de Ceccatty affirme une violence contradictoire entre bonheur et passion, mais ne la condamne pas pour autant. La souffrance d'aimer est une constante de son oeuvre, dans ses romans comme dans ses essais critiques, deux registres qu'il ne cesse de faire se répondre, en échos, distorsions, métamorphoses. Et l'on se demande s'il faut y voir une forme de résurgence romantique, une volupté trouble à se baigner dans les larmes, ou la voie de ce que constitue pour lui, et sans que ce soit réducteur, un étrange principe de vie.".

*Edition du vendredi 11 février 2000

 

L'AUTEUR A PROPOS DE SA PIECE

Je ne m'attendais pas à la proposition qui, un jour de l'hiver dernier, m'a été faite par Michel Feller* d'écrire une nouvelle adaptation de La Dame aux camélias pour Isabelle Adjani. La lecture de la pièce existante, pourtant si souvent montée depuis sa création, il y a un siècle et demi, m'a convaincu qu'il était impossible de la jouer actuellement, du moins selon l'idée que je me fais du théâtre. Il ne pouvait s'agir pour moi que d'adapter le roman qui, au contraire, me semblait contenir des éléments d'une grande modernité.

Mon idée a dés lors été très simple : selon une totale liberté, après plusieurs lectures attentives du roman qu'Alexandre Dumas Fils avait écrit à vingt-quatre ans, deux ans avant d'en tirer lui-même une pièce qui fit sa gloire, j'allais retenir tout ce qui me paraissait être propre à créer une émotion théâtrale et éveiller en moi des échos sincères, à partir des thèmes de la passion contrariée, de la vénalité, de l'urgence et de la maladie.

L'amour d'Armand Duval pour Marguerite Gautier était raconté par un narrateur : le regard de ce narrateur qui se présentait comme un ami du héros, exactement comme, dans Manon Lescaut, l'abbé Prévost est un ami du Chevalier des Grieux, était, je m'en suis vite aperçu, essentiel à la qualité même de l'émotion, à la nature de la lucidité des analyses, à la vibration du récit.

Alexandre Dumas Fils, pour raconter sa propre passion impossible pour Alphonsine Plessis, avait eu recours à cet apparent artifice de se diviser entre un héros (Armand Duval) passionné, impulsif, violent et un narrateur, observateur, pondéré, distant. J'ai donc décidé de l'imiter en créant un témoin, personnage que j'ai inventé et que j'ai appelé Charles. La création de ce personnage me permettait d'exprimer sur la scène ce qui était le plus singulier dans le roman, l'acuité de la conscience. Cela a été mon premier principe.

Mon deuxième principe a été d'éliminer de la dramaturgie tous les éléments anecdotiques, circonstantiels qui surchargeaient l'histoire. Alexandre Dumas Fils, dans une des préfaces qu'il rédigea pour les différentes rééditions de son théâtre, avait, lui-même, fait remarquer que l'amour qu'il racontait aurait pu se dérouler à une autre époque, sous d'autres cieux : les romans de cour japonais du xIème siècle ne racontaient-ils pas des drames analogues dont l'héroïne était une courtisane à laquelle sa fonction sociale aurait dû interdire de vivre une passion ? J'ai donc renoncé aux scènes de groupe, aux fêtes, aux conversations artificielles qui occupaient une grande partie de la pièce de Dumas et, bien entendu, de sa version lyrique, la Traviata. Je me suis centré sur la passion entre Marguerite et Armand : les scènes intimes sont les plus nombreuses et six tableaux sont exclusivement occupés par des dialogues entre les amants.

L'évolution de cet amour est donc le sujet premier de ma pièce. J'ai suivi les analyses de Dumas, mais je leur ai ajouté des propos qui m'appartiennent et que ma propre connaissance des relations amoureuses m'ont inspirés. On ne peut pas écrire une pièce intime sans se fonder sur sa propre expérience, même si les héros de cette pièce viennent du roman d'un autre et appartiennent désormais à une mythologie mondiale.

Mon troisième principe a été de suivre le temps et l'espace romanesque, quitte à recourir à de nombreux changements de décor. L'action devait suivre le rythme de la passion et ses déplacements, sa violence et ses contradictions. Il y a donc vingt tableaux : les personnages se rencontrent dans le salon et la chambre de Marguerite bien entendu, mais aussi au théâtre, chez Armand, à la campagne, chez Prudence Duvernoy, amie et voisine de Marguerite, dans la rue, au cimetière.

Cette fluidité de l'espace m'a beaucoup préoccupé, car elle est, en général, plutôt réservée au cinéma. Mais je m'en suis tenu à ce principe, sans trop me soucier de sa réalisation scénique.

Enfin mon quatrième principe était d'entourer Armand, Charles et Marguerite, de personnages qui auraient une nécessité absolue pour la dramaturgie et ne tiendraient jamais un rôle de figuration ou de transition.

Prudence Duvernoy l'amie et confidente, était déjà un contrepoint du roman et de la pièce de Dumas. je l'ai retenue, mais modifiée.

J'ai fait d'elle un personnage moins cynique, moins vulgaire, plus ambigu et plus sensible. La comédienne devant l'incarner aurait, dans mon projet, une finesse inhabituelle dans ce genre de rôle. A Prudence, j'ai donné un amant, que j'ai appelé Gustave, comme un autre personnage de la pièce et du roman, mais dont la fonction était différente. Ici, Gustave est un viveur, ironique et parfois un peu brutal, ami bourru d'Armand, témoin, comme Charles, de la tragédie où il plonge.

Le père d'Armand était, bien sûr, nécessaire, mais, lui aussi, je l'ai modifié considérablement, en préférant souligner en lui un certain trouble qui diminuait son aspect moralisateur et puritain. Le puritanisme allait de pair avec la grivoiserie et la grivoiserie, je l'avais également évacuée. Le monde des cocottes n'est présent que de façon allusive dans mon adaptation.

Marguerite en souffre, tout en y demeurant. Mais il reste lointain.

Les scènes que j'ai écrites pour le père d'Armand ne sont pas des prétextes à moralisation, mais de véritables affrontements où est traquée la vérité sous les masques qu'elle arbore. J'ai voulu faire apparaître le duc, protecteur invisible dans la pièce de Dumas, quoique omniprésent. j'ai également voulu que soit présent un des amants de Marguerite : je l'ai nommé Rodolphe de Nevers. Il n'existe ni dans le roman ni dans la pièce, mais il est inspiré de Varville (dans la pièce) et du comte de N. (dans le roman). Mais, à la différence de ses modèles, il est jeune et beau. Ces deux qualités le rendent plus dangereux pour Armand et font donc de lui un rival plus crédible.

A Rodolphe, fait écho Olympe qui n'a qu'une très brève apparition, mais que j'ai espérée spectaculaire. Olympe ne surgit qu'à la fin du roman, alors qu'elle a proprement envahi l'adaptation théâtrale qu'en a faite Dumas. Il m'a semblé plus efficace de réduire sa présence, pour la renforcer, dans une scène douloureuse.

J'ai enfin construit le personnage de Nanine à partir de plusieurs éléments d'autres personnages. Elle prend donc une grande importance psychologique dans ma pièce, une présence que j'ai voulue émotionnelle.

Mon cinquième et dernier principe a été d'insuffler aux deux amants une forme de lucidité que leurs modèles avaient déjà, mais dans une moindre mesure. J'ai attribué surtout à Marguerite une conscience extrêmement clairvoyante sur sa condition, en lui prêtant des analyses qui, dans le roman, sont faites par le narrateur. C'est à sa mort que culmine cette conscience. De même, Armand a dans ma pièce une conscience plus complexe. Il lui fallait vivre son amour avec une intensité émotionnelle sans réserve. Il n'est pas seulement un bellâtre, le faire-valoir d'une coquette malade que la mort surprend, mais un amoureux qui ne craint pas de se faire du mal ni de lui faire du mal, au moment même où il exprime et vit leur amour.

Comme le roman, ma pièce est construite sur un retour en arrière. Cette décision impliquait que l'enchaînement des scènes, très rapide, pût donner l'impression d'un flux onirique, accentuée par la présence de la musique d'Arturo Annecchino, interprétée, sur le vif, par des violoncellistes présents dans les loges d'avant-scène, au-dessus des comédiens. Tout est réminiscence. La pièce entière est un long souvenir.

J'ai écrit cette pièce en sachant qu'Isabelle Adjani l'incarnerait.

Je savais de quelle passion elle était capable et comment elle pouvait l'exprimer. Ce serait donc un théâtre de l'émotion.

Quand j'ai terminé ma pièce, il m'a été demandé de chercher un metteur en scène susceptible de s'intéresser au projet. Robert Hossein, directeur du théâtre Marigny, qui, après m'avoir exprimé sa confiance et m'avoir engagé à écrire en toute liberté mon adaptation intimiste, avait tout d'abord l'intention de prendre en charge la mise en scène, avait décidé, avant même de lire mon texte, de laisser libre Isabelle de se tourner vers un autre si elle le souhaitait. J'ai prononcé le nom d'Alfredo Arias, avec lequel j'ai travaillé pour la dramaturgie de plusieurs pièces et comédies musicales depuis une dizaine d'années. Isabelle, qui avait vu sa mise en scène de la Bête dans la jungle, a été enthousiaste de cette idée. Alfredo Arias a immédiatement accepté. Je savais qu'il apporterait sa propre touche de rêve et proposerait sa propre interprétation, avec des partis pris de narration qui, comme toute mise en scène, peuvent infléchir certains aspects du récit dramatique ou certains traits psychologiques des personnages, mais non l'évolution générale. Les comédiens allaient être tous choisis par nous trois, Alfredo, Isabelle et moi et appartiendraient à une même famille de l'émotion. Les costumes qui seraient intemporels comme l'est mon adaptation allaient être confiés à Dominique Borg, amie proche d'Isabelle avec laquelle elle avait déjà travaillé, au cinéma.

Alfredo a résolu de manière très singulière le problème des changements de décor, en optant pour la continuité dramatique,à partir d'un décor unique, modifiable à vue par un jeu de tulles, de rideaux, de lumières et de rétroprojections. Le décor de base serait le théâtre où a lieu la première rencontre de Marguerite et d'Armand. Cette scène du théâtre, essentielle dans le roman, avait été ellipsée dans la pièce de Dumas. J'ai, pour ma part, préféré la retenir et lui donner une grande importance. Une fois présent, le théâtre est devenu définitif dans la vision d'Alfredo Arias qui a demandé à Roberto Plate de concevoir toute sa scénographie à partir de cette scène. Les loges d'avant-scène ont été reconstituées sur le modèle du balcon réel du théâtre Marigny. Et, derrière elles, deux cadres successifs, de taille décroissante, créent un effet de fuite et de perspective, évoquant un jeu de miroir ou de circulation dans la mémoire et la conscience.

Ce décor symbolique n'interdisait pas la présence d'accessoires plus réalistes qui donneraient des repères matériels pour signifier les différents lieux de l'action : le lit de la chambre de Marguerite, des fauteuils, des écritoires, des tables. Le nombre élevé de scènes intimistes a conduit Alfredo à caractériser certaines d'entre elles sur un mode plus onirique. La présence très particulière du personnage de Charles, l'observateur, qui est non seulement le double d'Alexandre Dumas Fils, mais, au fond, mon propre double, c'est-à-dire un personnage d'écrivain, a naturellement conduit la mise en scène sur une voie plus réflexive, plus libre, plus ironique ou plus onirique, traitant l'action parfois comme une image de la conscience ou du rêve et introduisant par endroits des fondus enchaînés entre deux scènes ou même leur simultanéité. j'ai accepté cette initiative esthétique qui me semblait aller dans le sens de ma propre adaptation et l'enrichir en offrant aux comédiens une grande variété de jeu.

René de CECCATTY

* Agent d'Isabelle Adjani chez Artmedia
© Programme de la Dame aux camélias, Théâtre Marigny-Robert Hossein

 
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