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Cérémonie
de cloture du 50ème festival de Cannes
1997 |
Cérémonie
de cloture du 50ème festival de Cannes
1997 |
Douze jours en apnée. Avec neuf autres personnes, mon jury, que je ne connaissais pas. L'idée était de passer le plus de temps possible ensemble, pour éviter les formations claniques. Est-ce que cela a marché ? Disons que cela a évité le pire... Le matin, avant la projection de 8 h 30, nous prenions souvent un café ensemble, dans le petit salon à côté de la salle de projection. Ensuite, nous pouvions nous retrouver après les deux films du matin pour une discussion-collation, sur la terrasse.
Enfin, un jour sur deux, nous nous retrouvions pour le
dîner. En réunion formelle, et ça durait
toujours trois ou quatre heures ! C'était
incroyablement élaboré, on se serait cru
à un séminaire de philosophie... Sauf qu'il
manquait le philosophe ! Un psychanalyste digne de ce nom
aurait aussi été le bienvenu.
Dans le jury, il y avait tous les genres (...) Certains
avaient une dialectique extrêmement
sophistiquée, d'autres pas du tout. Dans ce
cas-là, quand on n'a pas le bagage universitaire, on
le remplace par une sincérité
éclairée : j'ai appris beaucoup sur les
rapports humains.
D'abord, c'est étonnant de voir comme il existe un
sexisme diffus, qui est là, qu'on le veuille ou non,
et qui ne dépend pas de l'intelligence des gens
présents. Mira Sorvino, Gong Li et moi -
l'Américaine, la Chinoise et la Française -,
nous nous retrouvions, malgré nos culrures
différentes, solidaires, à essayer de faire
vibrer l'intelligence autrement que dans le masculin... Dans
un groupe comme ça, chacun essaie d'éprouver
son pouvoir. J'avais parfois affaire à de grands
stratèges, aux plans de bataille dignes de
Napoléon ! Un exemple ? Quelqu'un qui fait semblant
d'avoir détesté un film et qui emploie des
arguments tellement offensifs qu'il force les autres
à se mettre dans le camp de la défense... Rien
de mieux pour parvenir à ses fins.
Il faut dire qu'on s'est pris un sacré reflet
d'époque dans la figure. Alors, au milieu de cette
surenchère de sang et de violence, il fallait surtout
prendre garde à ne pas devenir moralisateur, à
ne pas se tenir en instance de répression et de
censure. Définir l'intégrité, en
jugeant les films sur leur mérite
cinématographique plutôt que sur leur contenu
moral, c'est pas facile, je vous le dis ! Le palmarès
parle de lui-même, il est question de deuil, de
suicide, la violence est là - mais sourde et
plutôt cachée -, et elle débouche
quelque part sur une force de vie.
La double palme est, je pense, inévitable, quand il
n'y a pas de chef-d'oeuvre. Le prix du cinquantième
anniversaire à Youssef Chahine pour l'ensemble de son
oeuvre ? Quand les gens, dans la salle, ont commencé
à applaudir, je me suis retournée vers les
jurés et je leur ai dit en souriant : "C'était
une bonne idée !" Quand il y a eu la standing
ovation, là, je me suis retournée à
nouveau en riant : "C'était une TRES bonne
idée !" Des regrets pour le palmarès ?
Très peu... Oui, quelque chose d'incomplet du
côté des prix d'interprétation.
(...)
Voir les films ensemble, c'était aussi se protéger les uns les autres contre tout ce qui se produisait entre l'écran et nous. Quand il y avait des scènes insoutenables, la tentation était grande de s'enfouir sous les couvertures. Alors, sentir une présence, serrer une main, chuchoter quelque chose à son voisin, ça aide à supporter ce qu'on est en train de voir. Le dernier jour, juste avant le palmarès, c'était drôle aussi, Nous étions séquestrés dans la maison du maire, sur les hauteurs, portables confisqués, interdiction de rentrer à l'hôtel, trois par chambre, avec les toilettes au bout du couloir, ça avait vraiment un côté colonie de vacances ! Au moment de se changer, on se retrouve facilement en culotte, nez à nez avec quelqu'un qu'on ne connaît pas très bien !
Des moments inattendus ? Quand je me suis mise à
jouer à la mamma juive, que je m'occupais de savoir
si tout mon petit monde était content. Dès
qu'un membre du jury avait un problème, il
s'adressait d'abord à moi, pour lui, j'étais
l'interface entre le Festival et lui. Il m'est arrivé
de régler des problèmes de
susceptibilités, de voitures, de smoking à
repasser ou de gardes du corps trop zélés...
Il y avait aussi les appels de Paris pour les
réservations : parce que j'étais
présidente du jury, beaucoup ont cru que le Festival
avait laissé l'hôtel, ou, au moins, un
étage de l'hôtel à ma disposition !
(...)
Le jour de la célébration des cinquante ans du
Festival, à cause d'une conjonctivite aiguë, je
me suis réveillée les yeux injectés de
sang, et j'ai passé la journée à me
mettre des gouttes de cortisone. J'ai dû garder mes
lunettes non-stop. Et, lorsque, à la soirée,
juste avant de monter les marches, j'ai entendu une clameur,
un grondement, qui montaient de la foule, côté
photographes, ça tenait à la fois de la
supplique adoratrice et de l'ordre impérieux : "Les
lunettes, les lunettes ! " Ça faisait l'effet d'un
rite païen sur fond de musique primitive, comme dans
une tragédie grecque. Il fallait enlever le voile qui
masque le visage de la déesse... Là, je me
suis dit : "Courage, plutôt qu'lphigénie,
jouons-la Antigone !", et j'ai ôté mes lunettes
en clignant des yeux. Je n'ai jamais été
autant photographiée. Au lieu de le subir ou
même de le supporter, je l'ai accepté, et
ça m'est devenu égal. C'était
plutôt gai.
S'il y en a eu un parfaitement heureux dans tout ça,
c'était bien Gabriel-Kane : plage, piscine, jardin,
garderie, il a passé quinze jours de rêve,
même s'il ne m'a quasiment pas vue : un quart d'heure
le matin ("Coucou, c'est moi, maman !"), vers 7 heures et
demie, un quart d'heure l'après-midi ("Coucou, c'est
encore moi, maman, tu me reconnais ?"), et je
repartais...
Cannes, le lendemain du palmarès, c'est "Twilight
Zone". Pendant douze jours, du bruit 24 heures sur 24, une
agitation hallucinante. Et, lundi dernier, au matin du
treizième jour, je sors dans le hall, et là :
vide, plus personne, plus un panneau, plus une affiche, je
ne reconnais plus rien. J'appelle le service de voitures,
les gens du Festival à qui on avait eu affaire
pendant douze jours. De la science-fiction : tous disparus,
volatilisés, comme si rien n'avait jamais
existé... Le Festival de Cannes existe-il vraiment ?
En tout cas, moi, si : je vais retourner à ma vie,
maintenant. Avec ce merveilleux souvenir.
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